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Vieillir c'est renoncer (8)

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Vieillir c'est renoncer (8) Empty Vieillir c'est renoncer (8)

Message  papyvelo Ven 5 Juil - 6:41

Saison 2, épisode 4



Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit

                 Les vieux ( Jacques Brel )


 




 Il me lave le visage délicatement, « fermez les yeux » me dit-il, puis le nez, la bouche et les oreilles. Quand j’étais petite, certaines de mes camarades avaient ce que l’on appelait des nids dans les oreilles. Le cérumen et les poussières qui s’y collaient s’accumulaient dans les recoins et le manque d’hygiène faisait le reste. On se baignait dans un baquet, le samedi, le reste de la semaine c’était une toilette vite faite à l’évier de la cuisine. Si la mère n’était pas vigilante, la toilette était vite faite.
Il me lave le cou, maintenant. Quel âge peut-il avoir ? 22, 23 ans, l’âge de mon petit-fils.
« Les épaules, maintenant ! ». Mon petit-fils disait « shoulders » à son père qui le lavait en lui apprenant l’anglais.
Il ne dit rien mais je sens qu’il descend vers mes seins. Mes seins ! Deux sacs flasques qui pendouillent sur ma poitrine. Mon mari aimait les caresser, titiller les tétons, il posait sa tête entre les deux et il soupirait d’aise.
Je ferme les yeux pour ne pas voir qu’il me voit, abandonnée, livrée à son regard.
Est-ce pour éloigner mon mal-être ou pour masquer sa gêne, il se met à parler, il me parle de lui, de ses études d’aide-soignant.
« Les pieds maintenant » me dit-il.
Vous imagineriez-vous, à entendre son intonation, son débit sans accent, que ce jeune gars soit un noir, oui un noir, un black comme on dit maintenant. Le premier noir que j’ai vu, c’était sur le marché, je devais avoir 15 ou 17 ans. Il vendait des masques africains, des ceintures et des portefeuilles.
Il remonte le long de mes jambes, de mes cuisses, arrive à mon entrejambe. Ma partie intime, qui n’a plus rien d’intime. Entrez, entrez,  Messieurs les docteurs, les infirmiers, les aide-soignants et vous aussi Messieurs les kinés,  venez voir, rides, peau plissée, chairs pendantes, jambes aux veines bleuies,  touffe de rares poils grisonnants.
Il ressent mon trouble, entame un récit : « En 1914, mon arrière-grand-père Babacar a été enrôlé de force dans les tirailleurs sénégalais. A la fin de la guerre, il a décidé de rester en France, il a fondé une famille, a eu trois filles et deux garçons dont mon grand-père Mbaye qui n’a eu qu’un fils, Joseph, qui lui-même a eu deux filles et quatre garçons dont moi, Louis, qui fait votre toilette .».
Je le remercie d’un sourire.
« Allez, le dos, maintenant ! »
Il me lave, me crème les fesses pour éviter les escarres. Ses mains sont douces, je ne les vois pas mais je sais qu’elles sont d’un noir d’encre avec des paumes rosées.
« Voilà, je vous remets au lit ! »
Il me prend dans ses bras, comme on le fait d’un bébé. Je m’agrippe à son cou, je suis bien tout contre lui, il y a si longtemps que je n’ai pas été enlacée.
« Voilà, c’est terminé ! A demain Madame Rose ! »
- A demain, Louis ! ».

papyvelo
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